« J’AI PRIS L’EAU ! »
ou Témoignage sur l’échec entrepreneurial
4 ans après la demande de cessation d’activité de ma société « Nimble », je reviens pour la première fois sur les faits, en souhaitant vous faire partager l’échec entrepreneurial, passage difficile vers d’autres rebonds.
L’échec ne doit plus être un tabou en France. L’abbé Pierre disait :
«Le plus grand échec est de ne pas avoir osé»
C’est donc en tout humilité et en transparence que j’ai témoigné, au milieu d’autres entrepreneurs, mercredi dernier pendant la conférence table ronde de l’association 60000 Rebonds dont je fait parti.
Loin de faire un étalage de ma vie privée, il est pour moi important d’ouvrir les portes de l’intime pour faire passer mon message. Car un entrepreneur donne presque tout de lui dans sa société, sa force professionnelle comme personnelle.
Extrait de mon témoignage :
THÈME 1 : LES CAUSES FONDAMENTALES DE LA LIQUIDATION
Céline, dans ton cas tu as construit ton entreprise petit à petit en prenant le temps d’analyser les évolutions du marché. Et les rouages se sont grippés… Sur une décision, un environnement défavorable, tout peut s’effondrer ?
Oui, j’ai construit mon entreprise pierre par pierre en essayant de m’entourrer de professionnels dans cette évolution.
Voici mon histoire : J’étais sur Lyon. Après 5 ans en agences de communication, je me suis installée en tant qu’indépendante en 2008. Ça a tout de suite été un succès. Pourtant, très vite, en 2009, j’ai senti la montée du web dans la communication et j’ai compris que pour obtenir des marchés et des budgets intéressants, il fallait l’intégrer dans mon offre (sachant que je suis issue de l’univers print). J’ai d’abord choisi d’externaliser cette partie en travaillant avec d’autres indépendants de manière occasionnelle.
Le marché était de plus en plus demandeur d’une offre globale de la stratégie de communication à l’opérationnel tous média. Après réflexion, il est apparu important de m’associer avec quelqu’un qui s’engage à mes côtés dans le processus d’agence. De plus, une problématique récurrente chez les chefs d’entreprise, j’avais besoin de trouver un équilibre global et de regagner une vie personnelle. M’associer, partager les tâches… me semblaient donc cohérent.
En 2013, je pense rencontrer la bonne personne. Consultant en stratégie digital, il avait déjà dirigé 3 entreprises dans ce domaine. Je choisi de collaborer avec lui sur quelques projets pour débuter.
Mon conjoint, me conseille fortement d’avancer dans le sens d’une association. Il est lui même dirigeant d’une entreprise spécialisée dans l’accompagnement de création de PME sur la partie administrative, financière et juridique. Il pourra donc garantir cette association en devenir. Je sus confiante, car plutôt bien entourée… à priori…
Après une période de construction d’association avec ce consultant digital, et l’amorçage de multiples chantiers et engagements pour ce nouveau projet… Le tout s’écroule, sous l’impulsion de mauvais conseils et de mises en relations nocives et malhonnêtes conduit par la société de mon conjoint.
Tant qu’à faire, j’apprends également que mon conjoint a une double vie ! (Une précision importante car cette histoire aura un fort impact dans ma reconstruction professionnelle et personnelle.)
Mon avocate parlera d’escroquerie…
Bref, je me retrouve seule aux commandes d’un navire qui prend l’eau. À noter que l’associé a mis les voiles. J’ai donc perdu mes ressources. Et j’ai des engagements par dessus la tête qui ne correspondent plus à l’état de mon business model. Le tête sous l’eau, prête à me noyer…
Ma comptable qui me suis depuis des années, et qui s’occupait encore de la partie sociale pour mon employée, se révèle alors la seule véritable conseil. Elle m’oriente vers la liquidation en me conseillant de ne plus penser à mes clients, salariés et prestataires, mais de penser à moi dans cette affaire.
Je demande donc la cessation d’activité pensant que ce marasme cesserait. Mais la banque en profite (pendant les 10 jours de délai d’acceptation du tribunal) pour payer toutes les charges à la hauteur d’une facilité de caisse. Facilité de caisse non valide car tous les documents n’avait pas été signés… Ce sera la promesse de 4 années d’harcèlement à venir…
THÈME 2 : LE CHOC DE LA LIQUIDATION
Céline, c’est quoi ton ressenti ? Tu parles d’une grande violence, d’incompréhension, de jugements même si dans ce marasme tu as de belles surprises ?
La liquidation a été particulièrement difficile. J’ai eu le sentiment d’être trahie et de trahir moi-même mon environnement.
Je me souviens d’un jour en particulier, un silence bruyant, assourdissant… Je me suis sentie soudain paralysée, impuissante face à tous ces engagements, complètement écrasée par ce poids. Seule. Aucune lueur d’espoir. Une envie d’en finir avec qui j’étais. Il y a eu plusieurs actes manqués qui aurait pu être dangereux pour ma vie : un bus non vu, un feu rouge raté à un carrefour… Un sentiment de culpabilité irréversible.
Lorsque je me suis retrouvée au tribunal du commerce, dans l’attente de mon jugement, j’étais assise sur « le banc des accusés », à côtés de délinquants pénal. Il n’y avait pas de limite matérialisée. Et face à ces représentants de la loi et ce décor, qui n’en était pas un, je me suis sentie jugée telle une enfant qui voulait jouer à la chef d’entreprise.
J’ai du annoncer à mon entourage professionnel ma liquidation, et à ma salariée qu’elle se retrouvait du jour au lendemain au chômage. J’ai évidemment fait le nécessaire pour finaliser les dossiers en cours. Dossiers qui ne seraient pas rémunéré. Mon objectif était de ne pas pénaliser mes clients, de ne pas les emporter à la casse avec moi.
J’ai eu beaucoup de honte. Les proches à qui j’ai tenté d’expliquer ma situation ont mis en doute ma parole. Mes amis, chefs d’entreprises n’ont pas compris. Je n’ai pas cherché d’ailleurs à leur expliquer et j’ai fini petit à petit par les fuir. Ma famille, ne venant pas de ce milieu s’est permis des commentaires jugeants : « je te l’avais dit, tu as trop d’ambition, tu n’es pas faite pour ça, quand cesseras-tu de rêver et de faire un vrai travail …? ». Mon conjoint avait évidemment disparu de la circulation.
Mais contre toute attente, c’est de mes clients et de ma salarié que j’ai obtenu du soutien. À ma grande surprise ! Ma salariée m’a remercié, complimenté sur mon travail et ma posture de dirigeant. Mes clients ont appréciés mon honnêteté, m’ont poussé à me relancer à mon compte. Ils louent encore aujourd’hui mon professionnalisme.
THÈME 3 : LA RECONSTRUCTION PERSONNELLE
Qu’y a-t-il comme apprentissage ? Le rôle de 60 000 rebonds dans celle-ci ? Céline, comment es-tu arrivé dans l’association ? Comment décrirais-tu l’apport de 60 000 rebonds et du coach sur les aspects personnels ?
J’ai connu l’association par l’APEC. Après 1 an de boulots diverses (suite à ma liquidation d’entreprise) et d’un burn out, je me suis fait accompagnée professionnellement par l’APEC. Mais j’avais toujours cette impression d’être incomprise. Quand j’ai entendu parler de l’association 60 0000 Rebonds, spécialisée sur l’accompagnement des chefs d’entreprises post liquidation, je me suis dit que cela pouvait me correspondre.
60 000 Rebonds, c’est la solidarité et la bienveillance.
On se retrouve devant des personnes ouvertes et conscientes des problématiques des chefs d’entreprises. La notion de groupe permet de se sentir plus fort. Le collectif permet de retrouver progressivement confiance. Les « GED » (temps collectif de réflexions) peuvent être puissants. L’expérience individuelle partagée de chaque EER nous permet de rompre avec le sentiment de solitude de notre situation, d’être compris et de soulager un peu notre culpabilité. Avoir un coach et un parrain rassure. Depuis la liquidation, j’avais perdu toute confiance en moi. Ex-chef d’entreprise, j’étais retournée à un état d’enfant craintif. Pouvoir échanger sur des points concrets, d’avoir un regard extérieur, réécrire, rebondir sur ce qui a été échangé permet d’avancer, de se reconstruire. 60 000 rebonds permet vraiment une compréhension, une conscientisation qui permet de retrouver la confiance de manière globale.
THÈME 4 : LE REBOND PROFESSIONNEL
C’est simple ? Durable ? Agréable ? Céline, tu peux nous parler de l’impact de l’association sur la reconstruction professionnelle ? Tu en es ou ?
Le rebond n’est pas simple, et, pas toujours agréable ! La force de l’association 60 000 Rebonds, c’est dans la fréquence et la régularité de ses rendez-vous. C’est d’ailleurs, un gros engagement de sa part et de celle de l’entrepreneur. La régularité permet de voir la construction dans le temps d’un nouveau projet avec un miroir positif, alimenté par l’évolution des autres entrepreneurs dans leurs rebonds. C’est particulièrement motivant de voir les autres s’en sortir, en passant bien entendu par de multiples phases. On ne rebondit pas d’un coup et tout de suite par le haut… Le partage d’expérience est prépondérant tant avec les bénévoles qu’entre entrepreneurs.
Pour ma part, ce que je peux dire aujourd’hui après cette expérience de liquidation, même si je suis toujours fragilisée, j’ai pu avancé dans ma vie. Cela est toujours difficile de faire confiance, mais j’ai retrouvé un conjoint par exemple. Un bon début ! Je me reconstruis dans le bon sens, je pense. Mais je ne suis plus cette « femme battante » que j’étais avant. Je ne me reconnais plus. Il y a eu un avant et un après.
Mais peut-être qu’avec le temps, je serais encore plus forte, autrement… ? 😉
Cette expérience m’a finalement apporté beaucoup car elle m’a permis de me rendre compte d’une chose importante, que je savais au fond de moi : Je n’ai pas créé ma première entreprise par désir d’entrepreneuriat mais par désir d’épanouissement professionnel. Je souhaitais qu’on me laisse la chance de démontrer ce que je pouvais apporter. Il n’y avait pas d’autre ambition que de vivre de ma passion, de développer mes richesses intérieures, de continuer à apprendre.
La casquette de chef d’entreprise ne me correspond pas.
Conscientiser cela me permet de m’écouter et d’accepter ce que j’aime et du coup professionnellement d’aller vers quelque chose qui me convienne vraiment. Mon projet, aujourd’hui, est de m’orienter d’avantage vers la stratégie de communication que la partie visuelle dont je suis issue (formation de directrice artistique). Mais j’ai surtout envie d’intégrer une Équipe avec un « E » majuscule, et un Projet d’entreprise.
Quel serait le message que tu aurais envie de faire passer ?
Il y en a deux :
- Dans la vie, à tous moments, il faut savoir se poser, souffler, se recentrer sur son « moi profond »… Garder la foi en ses valeurs et être conscient et bienveillant de ses forces.
- D’échec en échec, on ne peut que rebondir. L’abbé Pierre disait : «Le plus grand échec est de ne pas avoir osé»